Bénédicte Vilgrain
« Dans »
20 August
(1) Dans Entangled Life (1), un livre sur l’intrication de nos vies dans celles des mycéliums, lichens, et autres algues, Merlin Sheldrake écrit, à propos du potawatomi, langue de la région des Grandes Plaines aux Etats-Unis : « Le mot pour colline, par exemple, est un verbe : ‘être une colline’. Les collines sont toujours dans un processus de collinement, être collines est actif. »
(2) Dans Sur le verbe dans les langues américaines (2), Wilhelm von Humboldt écrit : « dans la langue yaruro l’absence d’une racine qui signifierait être devient encore plus manifeste. Chaque personne du pronom produit un mot différent, et pas une lettre ne leur est commune. En outre le pronom doué de la forme verbale [je souligne] est, jusque dans ses moindres détails, le même que le [pronom] personnel isolé. Les marques temporelles lui sont préfixées. Que veut dire « je suis », ri-que « j’étais » et ainsi de suite.
(3) Dans L’Ergativité en tibétain (3), Nicolas Tournadre établit la distinction entre l’auxiliaire dit « constatatif » (‘dug) et l’auxiliaire dit « ego-volitif » (yod). Un locuteur ayant recours à ‘dug pour déclarer qu’il se rend au Norbulingka, résidence d’été des Dalaï Lama, est un locuteur qui n’y va pas, mais se voit y aller en rêvant.
(4) Dans sa Thèse sur la structure de la phrase en e-Sáaka, un dialecte bantou du Mozambique, José Mateus Muária Katupha (4) rappelle que les langues bantou sérient les noms en différentes classes, fonction de la manière dont leurs satellites (l’adjectif, le démonstratif, etc...) s’accordent avec eux. Les classes sont « organisées » par paires, singulier – pluriel, on appelle « genre » (gender) l’association des deux classes, pluriel + singulier. En plus des neuf classes de noms, plus ou moins reconnaissables à leur préfixe, les locatifs en e-Sáaka sont recensés, non pas comme des cas grammaticaux mais comme trois classes supplémentaires : « dans la maison / on dort » (la maison c’est pour y dormir).
(5) katégoria, «accusation» en grec, sert de vocable à Aristote pour les « catégories », ou familles de prédicats.
(6) Dans ses Ornements à la pensée de Nâgârjuna, une distillation des points qui constituent le cœur de la « Voie Moyenne » (Madhyamaka)
(5), Gendun Chöp’el assume que, lorsque des centaines de milliers de personnes ordinaires, parce qu’elles sont bilieuses y compris le roi, voient jaunes les coquillages, on dira des quelques qui les voient blancs qu’ils nient ce qui est, on les taxera de nihilisme.
(7) Dans sa Préface à The Madman’s Middle Way (6), Donald S. Lopez Jr. écrit qu’à la lecture, en tibétain, de l’Adornment de Gendun Chöp’el, il s’est surpris à entendre le ton de l’écriture des Investigations de Ludwig Wittgenstein, plus que celui d’autres textes d’inspiration bouddhiste lus de lui par le passé.
1. Merlin Sheldrake, Entangled Life, How Fungi make our Worlds, change our Minds, and shape our Futures, Vintage 2021, p.46. Traduction Simon Jolibois : Le Monde caché, comment les champignons façonnent notre monde et influencent nos vies, 2021.
2. Wilhelm v. Humboldt, Sur le verbe dans les langues américaines, ma trad., contrat maint 2007. Allemand : « Ueber das Verbum in den Americanischen Sprachen », 1823, Manfred Ringmacher ed. dans : Wilhelm von Humboldt (Jürgen Trabant dir.), Über die Sprache, Francke 1994, p.88.
3. Nicolas Tournadre, L’Ergativité en tibétain, Editions Peeters, Louvain-Paris 1996, p.186.
4. Thèse « submitted for the Degree of Master of Philosophy, School of Oriental and African Studies, University of London »,
1983, p.62.
5. Tibétain : Dbu ma’i zab gnad snying por dril ba’i legs bshad klu sgrub dgongs rgyan [ད"་མའི་ཟབ་གནད་+ིང་པོར་0ིལ་བའི་ལེགས་བཤད་5་6བ་དགོངས་7ན་་་consultation libre sur internet, troisième § de prose après le poème d’ouverture]. Si le jaune est ici un terme renvoyant à la bile, « yeux jaunes » en tibétain signifie « jaloux », et « voir en jaune », c’est aussi voir avec les yeux du « monachisme » ! Anglais :
6. « Eloquent Distillation of the Profound Points of the Madhyamaka / An Adornment for Nagarjuna’s Thought » compiled as notes by Zla ba bzang po according to the oral instruction of Dge ‘dun chos ‘phel [Gendun Chöp’el]. Dans : Donald S. Lopez Jr. (introduction, traduction, commentaire), The Madman’s Middle Way, The University of Chicago Press, 1992, p.ix.
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